Lettre à mon ami le touriste


Mohamed Laroussi

Je t’écris cette lettre que tu liras peut-être si tu viens un jour chez nous… comme touriste. J’en profite pour te dire que tu es le bienvenu chez toi, comme on dit aux touristes de chez nous, c’est-à-dire, autrement dit nos Marocains touristes. Ah oui, parce que Marocain ou pas, quand tu vis à l’étranger et quand tu viens ici, on te considère comme un touriste. Je n’ai pas voulu écrire “on te compte comme un touriste”, parce que, comme tu sais, quand on aime, on ne compte pas. Pourtant, toi le touriste, tu comptes beaucoup pour nous, et pour ne rien te cacher, on compte beaucoup sur toi. Surtout pour alimenter nos comptes. Bien sûr, le fric il n’y a pas que ça qui compte, mais comme disait l’autre, l’argent, ça va, ça vient, mais quand ça vient, ça va. C’est un peu comme toi, mon cher ami le touriste. Quand tu viens chez nous, ça va, et quand tu reviens, c’est mieux. Le problème, c’est que quand tu viens, après tu t’en vas, et tu ne reviens pas. Ou pas toujours, ou presque pas toujours. Ce n’est pas moi qui dis ça, ce sont les chiffres. Les chiffres officiels. Les chiffres de ceux qui comptent les touristes qui viennent, qui s’en vont, et qui, souvent, ne reviennent plus.

Selon ces chiffres, le taux de retour – c’est comme ça qu’on appelle cet affreux thermomètre – tourne, depuis des années, autour de 6 ou 7 %. Pour jouer un peu à l’expert que je ne suis pas, sur 100 touristes comme toi qui viennent chez nous, seuls 6 à 7 touristes reviennent. C’est peu, très peu, je sais, mais comme avait dit un jour une grande responsable de ce secteur –  authentique  :  “c’est mieux comme ça, parce que nous avons à chaque fois de nouveaux touristes qui viennent chez nous”.
Blague à part, j’aimerais bien savoir pourquoi, par exemple, toi, mon cher ami le touriste, tu ne viens pas souvent ou pas assez chez nous, et surtout pourquoi, même quand il t’arrive de venir chez nous, pourquoi tu ne reviens plus ou presque plus ?

Et puisque j’y suis, j’ai une autre question qui me turlupine depuis toujours : pourquoi un si beau pays comme le nôtre, pas le plus beau pays du monde, faut pas exagérer, mais  beau quand même, très beau même, n’arrive pas encore à faire mieux ou juste autant que les autres pays qui ne sont pas toujours ni aussi beaux que nous ? 
En effet, est-ce que tu pourrais m’expliquer, toi mon ami le touriste qui voyage un peu partout dans le monde, pourquoi notre pays n’arrive pas à faire partie des pays les mieux visités alors qu’il a quand même des atouts qu’on ne trouve pas partout, en tout cas pas au même endroit, dans le  monde : il est baigné par un océan et une mer;  il a des plaines, des plateaux, des vallées, des montagnes, et il a le désert; il a le soleil toute l’année et la neige en hiver; on peut s’y balader ou s’y amuser tranquillement, où on veut, comme on veut, quand on veut, du matin au soir, de jour comme de nuit, que ce soit dans la rue, sur les places publiques ou dans les boites de nuit; il a une cuisine très variée et très raffinée et plein de variétés de légumes et de types de fruits; on y trouve des hôtels étoilés et mêmes très étoilés partout où l’on peut vivre et dormir comme des princes, comme on y trouve plein de petits coins sympas et mignons où l’on peut passer la nuit où l’on veut ou même à la belle étoile si l’on veut;  dans notre pays, on peut faire du skate ou du ski, du surf ou du kayak, rouler en vélo ou en roller, naviguer sur un bateau ou sur un chameau, prendre le bus ou le tram, la calèche ou le  train, et même faire du stop parce que ça marche et c’est souvent  top; la vie n’y est pas chère, et même pas chère du tout, on peut y vivre parfois avec presque rien ou même parfois avec rien du tout; l’hospitalité marocaine n’est pas une simple légende ou un simple slogan, car les gens d’ici vous livrent souvent spontanément leurs cœurs et même leurs maisons…

Pourquoi, te demandais-je, mon cher ami le touriste, les autres pays, proches ou lointains, qu’ils soient européens, américains, asiatiques ou juste voisins africains, pourquoi nous n’arrivons pas à attirer autant de touristes qu’eux, alors que, sans chauvinisme aucun, sur plusieurs plans, nous sommes beaucoup mieux qu’eux ?
En vérité, nous ne sommes pas mieux qu’eux, mais nous avons souvent plus de choses qu’eux, mais nous ne savons pas les utiliser comme eux. 
Un des points les plus faibles de notre tourisme, c’est le service. Normalement, je ne devrais pas te le dire à toi mon ami le touriste, mais je sais aussi que si je ne le dis pas, je ne vais pas nous rendre service. 
’Il est vrai que les touristes aiment bien les salamalecs des hôteliers, des restaurateurs, des commerçants et des guides, et ils sont très sensibles à leurs sourires, mais quand ils entendent parfois les prix ou bien quand ils voient des fois les additions, ils n’ont plus du tout envie de rire.

Toi tu le sais bien, mon cher ami le touriste, qu’un touriste ce n’est pas quelqu’un qui va dans un pays pour distribuer son argent, mais quelqu’un qui veut profiter, amicalement, sereinement, joyeusement, pleinement et totalement de son argent.

Il cherche à acheter du bon temps, pas du vent.

Les promesses des flyers et des spots publicitaires, le touriste y croit en général les yeux fermés. Mais quand il arrive dans ce pays, qu’il ouvre les yeux et qu’il ne les trouve pas, non seulement il ne sera pas content mais il ne vous croit plus. 
Je sais que tu sais, mon ami le touriste, que le soleil, les sourires, la neige, la mer, la bonne cuisine, les oranges, le folklore, les palmiers-dattiers, les étoiles des hôtels, ou même celles qui sont dans le ciel, ce n’est pas seulement cela qui fait voyager un touriste. Tout cela, il peut le trouver un peu partout. Par contre ce qui fait la différence entre un pays touristique qui marche bien et un pays touristique qui peut marcher mieux, c’est que le premier sait qu’il n’est pas le seul dans ce monde et qu’il doit toujours faire plus et mieux, alors que le second, on a beau dire et faire, il croit toujours dur comme fer qu’il n’a plus rien à faire et qu’il n’y a pas mieux que lui sur terre.

En disant cela certains pourraient dire que je n’ai rien dit, pourtant, toi, mon cher ami le touriste, tu sais que j’ai presque tout dit. 
Alors, s’il te plait, dis-leur, en français, en arabe, en anglais, en allemand, en finlandais, en suédois, en norvégien, en tibétain ou en mandarin, dis-leur, s’il te plait, que le Maroc est beau, très beau, mais que pour toi, le service, LES services, c’est essentiel, et dis-leur, s’il te plait, que s’ils ne changent pas, toi, mon cher ami le touriste, tu ne reviendras pas.


Mohamed Laroussi 
Le vendredi 8 juin 2018

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