OTAN : Entre escalade militaire et doute existentiel

Le sommet de l’OTAN, qui débute ce mardi 24 et se poursuit jusqu’au 26 juin à La Haye, se tient dans un climat de tensions sécuritaires inédites depuis la Guerre froide. Sur fond d’escalade militaire entre grandes puissances, d’incertitudes politiques internes et de remise en question de sa pertinence stratégique, l’Alliance atlantique joue, une nouvelle fois, sa survie. Un sommet qui intervient dans un contexte de vive tension entre Israël-Etats-Unis contre l’Iran avant la proclamation d’un cessez-le-feu par le président américain Donald Trump.
Rarement l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) aura tenu un sommet dans un contexte aussi lourd de menaces convergentes. À la Haye, du 24 au 26 juin, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres seront confrontés à une accumulation de foyers de crise – Ukraine, Moyen-Orient, Asie du Sud – qui redéfinissent les contours d’un ordre international devenu instable, sinon chaotique.
Alors que la guerre en Ukraine entre dans sa quatrième année, l’OTAN peine à dissimuler les signes d’essoufflement de son soutien logistique et militaire à Kiev. Le président russe Vladimir Poutine semble avoir parié sur cette fatigue stratégique. Pendant ce temps, au Moyen-Orient, les frappes israéliennes contre Gaza s’intensifient, tandis que la confrontation à distance entre Israël et l’Iran prend une tournure directe, faisant planer le spectre d’un embrasement régional. Et à l’autre bout du continent eurasiatique, les récents incidents frontaliers entre l’Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires rivales, ravivent les pires inquiétudes sur une déstabilisation de l’Asie du Sud.
À ce tableau déjà chargé s’ajoute une dynamique politique intérieure propre à fissurer l’Alliance : le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Présent au sommet dans une posture gagnante, le président américain semble déterminé à ranimer ses discours les plus critiques contre ses partenaires de l’OTAN. En février, il rappelait encore qu’il ne protégerait pas les pays membres ne respectant pas leur engagement d’un budget militaire équivalent à 2 % de leur PIB – allant jusqu’à menacer de « laisser la Russie faire ce qu’elle veut » avec ceux qu’il juge défaillants.
Ce bras de fer récurrent n’est pas sans rappeler les propos d’Emmanuel Macron, en 2019, déclarant que l’OTAN était en état de « mort cérébrale ». Si la formule avait suscité l’indignation de certains membres, elle n’en avait pas moins mis le doigt sur une crise existentielle persistante : l’Alliance peine à s’accorder sur sa finalité stratégique. Défense collective ? Alliance politique ? Force de projection ? La guerre en Ukraine a partiellement revitalisé sa raison d’être, mais sans dissiper les tensions internes.
L’un des points centraux du sommet de la Haye portera sur les dépenses de défense. L’OTAN ambitionne de faire du seuil des 2 % non plus une cible indicative, mais un plancher obligatoire. Plusieurs pays – dont l’Allemagne et l’Espagne – sont encore loin du compte. Pour d’autres, comme la Pologne, les 4 % sont déjà atteints, créant des disparités structurelles inquiétantes au sein de l’organisation.
L’Alliance s’apprête également à renforcer les chaînes d’approvisionnement de l’industrie de défense, alors que les arsenaux occidentaux montrent leurs limites face à la guerre d’attrition en Ukraine. Le défi est double : réorganiser la production à l’échelle européenne et transatlantique, tout en évitant une logique de duplication nationale inefficace. L’enjeu de la standardisation des équipements militaires, des stocks de munitions et des capacités de maintenance sera donc au cœur des discussions.
Une alliance en quête de sens face au Sud global
Face à ces défis, le Sud global observe, silencieux. Ni aligné sur l’OTAN, ni entièrement dans l’orbite sino-russe, cet ensemble hétérogène de puissances émergentes (Inde, Afrique du Sud, Brésil, Indonésie, etc.) exploite les fissures de l’Alliance pour renforcer ses propres partenariats stratégiques. Le refus de suivre les sanctions contre la Russie, les critiques contre la gestion des crises au Sahel, à Gaza ou en Syrie, ou encore la volonté de construire des dispositifs alternatifs à l’ONU, confirment un basculement géopolitique subtil mais irréversible.
L’OTAN, conçue pour une bipolarité disparue, peine à s’adapter à cette nouvelle réalité multipolaire. L’absence de coopération structurée avec le Sud global fragilise son image, surtout en Afrique et en Asie, où ses interventions passées – souvent perçues comme néocoloniales – continuent de nourrir la méfiance.
Ce sommet pourrait donc s’avérer déterminant. Soit l’OTAN parvient à surmonter ses divisions internes et à moderniser son logiciel stratégique en tenant compte de la nouvelle cartographie des menaces ; soit elle s’enfonce dans une logique défensive, réduite à un outil de dissuasion limité à l’Europe orientale.
Mais la multiplication des lignes de front – Ukraine, Méditerranée, Asie du Sud – exige plus qu’un simple rattrapage budgétaire. Elle impose une réinvention de la solidarité stratégique au sein de l’Alliance, sans quoi les tensions actuelles pourraient précipiter une dislocation plus profonde.
La Haye sera peut-être moins le théâtre d’un sursaut collectif que celui d’une clarification historique : l’OTAN est-elle encore une force structurante du monde d’après-guerre froide, ou bien un vestige hérité d’un ordre révolu ? La réponse pourrait conditionner la prochaine décennie géopolitique.
Un Proche-Orient en feu
Comme si ce paysage géopolitique ne suffisait pas à lui seul à obscurcir l’agenda du sommet, la situation au Moyen-Orient vient redoubler l’incertitude. Après plusieurs semaines d’escalade militaire entre Israël, les États-Unis et l’Iran, c’est Donald Trump lui-même qui, dans un geste spectaculaire, a annoncé un cessez-le-feu immédiat, affirmant avoir obtenu des garanties bilatérales pour une désescalade. L’annonce, faite depuis Washington à la veille de son déplacement aux Pays-Bas, a surpris jusque dans les cercles diplomatiques les plus avertis, tant les affrontements directs – notamment autour du programme nucléaire iranien et des représailles israéliennes sur des cibles stratégiques – semblaient hors de contrôle.
Ce cessez-le-feu, encore fragile, soulève plusieurs interrogations au sein même de l’OTAN. L’Alliance, historiquement prudente sur les dossiers moyen-orientaux, se trouve marginalisée dans une crise où ses deux membres majeurs – les États-Unis et la Turquie – poursuivent des agendas parfois contradictoires. Si certains saluent la trêve obtenue par la diplomatie américaine, d’autres redoutent qu’elle ne soit qu’un sursis tactique, visant à renforcer la stature internationale de Trump sans pour autant traiter les causes profondes du conflit.
En toile de fond, la question demeure : dans un monde traversé par des conflits à géométrie variable, l’OTAN peut-elle encore prétendre être l’architecte de la sécurité globale ? Ou bien assiste-t-on, avec ce cessez-le-feu proclamé unilatéralement par un président américain en campagne, à une reconfiguration des rapports de force où l’Alliance atlantique devient spectatrice des décisions prises ailleurs ?
Ce que La Haye pourrait révéler, c’est donc moins une réponse immédiate aux crises actuelles qu’un diagnostic lucide sur l’incapacité structurelle de l’OTAN à peser sur les conflits hors de son aire euro-atlantique. Une faiblesse stratégique qui, à terme, pourrait affecter jusqu’à sa légitimité même.