La politique d’axes réinventés : réalité ou clause de style ?

Par Kamal F. Sadni

Le terme ‘axe’ est réapparu dans le jargon politico-diplomatique à la suite des évènements qui ont entaché la sérénité théorique des relations entre le Maroc et certains pays membres de l’Union européenne, dont principalement l’Allemagne et l’Espagne.

Le comportement de l’Espagne, plus particulièrement, mérite une attention particulière bien qu’il ne soit pas réellement une grande surprise. Un comportement plus au moins identique à celui de la Mauritanie et de l’Algérie. C’est ce qui a fait dire à certains qu’il y aurait un ‘axe Madrid-Alger-Nouakchott’ mobilisé, chaque capitale en ce qui la concerne, contre les intérêts vitaux du Maroc, et surtout contre son intégrité territoriale et ses revendications sur Ceuta et Melilla ou la contestation ‘non déclarée’ par la Mauritanie de la souveraineté marocaine sur Laguouira.

Qu’en est-il réellement de l’existence de cet axe ? Quelle est la pertinence de cette alliance contre-nature entre pays qui n’auraient vraiment rien en commun sinon d’avoir un adversaire, le Maroc ? Quels sont les atouts de ces acteurs ? Quelles similitudes ou différences par rapport à des formats qui ont été légion tout au long de quatre dernières décennies sur l’échiquier géopolitique impliquant l’Europe, l’Afrique et le Moyen Orient ?

Axe stratégique : convergence provisoire d’intérêts et guet-apens dans la foulée

Dans le jargon politique et stratégique, le terme « axe » a été très prisé depuis les années 1970 où il devenait coutume de parler de l’axe Paris-Rabat-Dakar ou de l’axe Alger-Damas-Baghdâd-Sanaa ou de l’axe Tunis-Alger-Nouakchott ou de l’axe Alger-Abuja-Pretoria pour ne citer que ces exemples. Et maintenant donc, on parle de l’axe Madrid-Alger-Nouakchott.

L’utilisation de ces expressions est sujette à des clarifications de façon à y déceler la dimension géopolitique, sécuritaire, diplomatique d’une part, et la dimension ‘guerre psychologique ‘foncièrement démagogique, d’autre part, à inclure dans la sphère propagande à tout crin. A cet égard, l’axe quelle que puisse être sa portée lors de son éclosion, traduit deux réalités contradictoires sur le fond et complémentaires sur la forme avec au bout, un constat général qui confirme la nature aléatoire de l’axe. A cet égard, une distinction doit être faite entre l’axe exprimant des rapports asymétriques profitant à un seul acteur et l’axe symétrique avec une distribution de rôles sans asseoir l’hégémonie d’un acteur par rapport aux autres partenaires.

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Les réalités tout d’abord : elles se situent à deux niveaux : premièrement, au niveau de la consécration d’une dépendance feutrée sous forme d’une inter dépendance asymétrique dans laquelle, il y a un acteur majeur qui détermine sinon dicte les termes du fonctionnement de l’axe. Ce dernier est censé jouer le rôle de contrepoids face à l’adversaire identifié en tant que tel. Cet adversaire n’est pas une puissance importante sur l’échiquier géostratégique global, mais il indispose à la fois les acteurs du même niveau sur le plan régional et se heurte à la puissance gestionnaire de l’axe sur le plan régional. Deuxièmement, au niveau de l’égalité relative des instruments de marchandage faisant que l’axe se présente comme une sorte d’alternance de l’inter dépendance symétrique sans qu’aucun des acteurs partenaires ne réalise indéfiniment l’ascendance définitive sur les autres.

Le constat ensuite : l’axe est circonscrit dans le temps. L’axe ne peut être assimilé au partenariat stratégique ou à la dépendance unilatérale. Il est une manœuvre plutôt diplomatique destinée à secouer le statu quo ou à ébranler la sérénité et la force d’un adversaire qui lui, par contre, fait l’économie des moyens pour réaliser des gains géopolitiques à long terme.

La constitution d’axes géopolitiques est outillée en général pour patronner des conflits endémiques dans une configuration stratégique régionale qui devient complexe à force de voir les divergences s’éterniser en l’absence d’imagination politique ou diplomatique de la part des principaux protagonistes. L’objectif de l’acteur majeur extrarégional n’est pas de résoudre le conflit, mais de jouer le rôle de pompier de service (France), d’intermédiaire stratégique pour noyer le poisson (Etats-Unis) ou de prétendant à une place sur l’échiquier stratégique global en se déployant dans des régions caractérisées par des discontinuités géopolitiques (Russie, Chine et Turquie). Dans toutes ces configurations, l’acteur gestionnaire de l’axe travaille à maximaliser ses gains et à réduire la participation des autres partenaires à celle de l’intendance chaque fois qu’il est appelé à diriger sa boussole vers d’autres espaces.

La constitution d’axes peut-être également motivée par un sursaut d’honneur de la perte du statut d’acteur intéressé dans une configuration régionale dans laquelle la distribution des rôles s’effrite avec le temps (Espagne) ou le regain de puissance donne des ailes (Allemagne) ou le souci d’autonomie sans perdre au change devient pressant (Pays-Bas, Suède, Norvège et Danemark).

La constitution d’axes symétriques met en présence les acteurs d’une configuration régionale dont la puissance est relativement égale et qui n’arrivent pas à se neutraliser. Cette configuration est originale dans la mesure où les acteurs membres sont déçus de l’indifférence d’une puissance internationale qui n’est pas intéressée à résoudre les litiges qui les opposent les uns aux autres. Ils sont dès lors enclins à jouer le rôle de la séduction programmée en créant la zizanie. Cette zizanie risquant, toutefois, de porter atteinte aux intérêts de la puissance intermédiaire régionale. Dans ce cas, il s’agit d’une ancienne puissance coloniale. Celle-ci laisse faire en veillant à apprécier le degré de vulnérabilité des acteurs membres en vue d’intervenir en cas de besoin – pour rappeler tout le monde à l’ordre.

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Des unions éphémères et des axes embryonnaires

Il en découle l’apparition d’axes motivés par des considérations idéologiques sans espoir d’atteindre les objectifs assignés, mais plutôt de jouer sur le temps pour se repositionner. L’espace moyen-oriental et nord-africain offre des exemples édifiants à cet égard. Il s’agit de toutes les tentatives de création d’unions étatiques selon le modèle ‘progressistes’ contre ‘réactionnaires’ qui a été légion durant les années 1960, 1970 et 1980. Entrent dans cette catégorie les unions de courte durée entre l’Egypte et la Libye et entre la Tunisie et Libye. Il y a aussi des unions avec des soubassements hégémoniques, comme c’est le cas de l’union entre l’Egypte, la Syrie et le Yémen, 1958-1961. Peuvent être citées également des unions éphémères en réaction au changement des règles de jeu sur l’échiquier politique et diplomatique. Il en est ainsi du front de refus constitué par l’Algérie, la Syrie, Irak et le Yémen du Sud, après la conclusion des accords de Camp David 1 et l’établissement des relations diplomatiques entre l’Egypte et Israël. Il peut s’agir enfin de la constitution d’un axe surprise comme conséquence d’une ‘arrogance diplomatique’ dictée par une lecture erronée de la géopolitique régionale. Tel est le cas de l’axe Algérie, Tunisie, Mauritanie créé en 1983 sur fond de litiges frontaliers à liquider en faveur de l’Algérie, mais surtout avec la motivation principale de cette dernière à savoir, d’une part l’obstruction sur la question du Sahara marocain et de l’autre, la violation délibérée des dispositions de l’accord sur les frontières entre l’Algérie et le Maroc signé en 1972.

Il en est de même des axes motivés par des considérations hégémoniques à connotation économique et sécuritaire sur le plan régional et une prétention à un rôle plus conséquent sur le plan global. L’axe Alger-Abuja-Pretoria en est l’illustration la plus éloquente. Cet axe a été créé dans la foulée de la course à se présenter candidat à un poste de membre permanent au Conseil de Sécurité dans le cadre des propositions pour la réforme du système des Nations unies miroitée au début des années 1990. Mais, il y avait aussi une dimension économique et commerciale évidente derrière la constitution de cet axe. L’axe n’a pas fonctionné comme espéré. Tout d’abord, parce que ses membres prêchaient le faux pour avoir le vrai dans leurs relations. Ensuite, parce qu’ils ont surestimé leurs atouts en matière de politique étrangère appliquée à l’Afrique. Et enfin, parce qu’ils se sont heurtés à deux autres prétendants qui s’activaient dans les environs avec les mêmes ambitions; en l’occurrence l’Egypte et la Libye de Kadhafi.

Toutefois, force est de reconnaître qu’un membre a été plus lucide que les deux autres : le Nigéria. L’aspiration dite ‘hégémonique’ du Nigeria a été surtout économique et commerciale. D’où l’idée initiale de construire un gazoduc transsaharien reliant le Nigériaet l’Algérie. Parallèlement, une prospection a été tentée du côté de la Libye, quand on s’est aperçu à Abuja que l’option Algérie est irréaliste pour des considérations logistiques, financières et surtout sécuritaires (prolifération de l’insécurité dans la bande sahélo-saharienne et la multiplication des réseaux du crime organisé sur fond de litiges frontaliers qui n’en finissent pas de surprendre). Il faudrait rappeler que c’est en considération de ces donnes que l’option du gazoduc Nigéria-Maroc-Europe aurait été considérée dont les prémisses, remonteraient à 2009 après que le Nigéria s’est aperçu que les options libyenne et algérienne étaient onéreuses, irréalistes et surtout risquées.

L’Afrique du Sud avait d’autres considérations dans la mesure où le comportement diplomatique musclé qui était le sien (et le demeure) avait une connotation idéologique avérée destinée à l’échiquier politique intranational pour gérer la transition post-Mandela. A cela, il faut ajouter l’aspiration de Pretoria à devenir un acteur pivot et asseoir son ascendance sinon hégémonie sur la Communauté de développement d’Afrique australe.

Cependant, si les trois pays de l’axe adoptent une position identique à l’égard de l’intégrité territoriale du Maroc, ils n’en sont pas exposés aux mêmes dangers séparatistes: l’Algérie avec la Kabylie et les Touaregs, le Nigéria avec les séquelles de la dissidence au Biafra et l’Afrique du Sud avec la nature du découpage administratif (racial et ethnique) issu de la fin de l’apartheid et maintenu malgré un lifting institutionnel qui ne répond pas aux attentes politiques des forces d’opposition.

L’axe Madrid-Alger-Nouakchott :le mirage du sable mouvant

Et alors, qu’en est-il de l’existence potentielle d’un axe Madrid-Alger-Nouakchott ? Apparemment, il n’en est rien en considération des acteurs en présence. Mais dans les faits, les trois pays partagent une même perception à l’égard du Maroc. Elle est motivée par la prise de conscience de la montée en puissance d’un acteur qui a décidé de se prendre en charge et de braver ceux qui lui tiennent grief en lui reprochant de vouloir voler de ses propres ailes, d’avoir droit au chapitre dans la détermination des enjeux géopolitiques de la région loin des sentiers battus. Examinons les appréhensions des trois pays concernés.

L’Espagne, tout d’abord, il y a le legs colonial, la perception d’un danger permanent en provenance du Maroc et le constat de voir ce dernier enregistrer un développement méritoire et à une cadence prometteuse (et préoccupante pour les intérêts espagnols). Ensuite, il y a l’affranchissement de la classe politique marocaine de la phobie d’être à la merci de l’Espagne (et de l’Europe). Tout cela constitue un cocktail que l’ancienne garde et les mouvances extrémistes de droite et de gauche ne peuvent entendre ou accepter.

Ces nouvelles donnes poussent Madrid à se balloter entre son ambivalence et sa duplicité à l’égard de son voisin du sud. Et le constat est hallucinant : le pays reste nostalgique de la période coloniale du Sahara. Il redoute que la résolution de ce conflit régional ne soit suivie par la montée au créneau du Maroc pour la récupération de Ceuta et Melilla. En fait, certains milieux en Espagne n’auraient jamais abandonné l’idée de voir ‘une entité séparatiste créée dans les provinces sahariennes marocaines. Parallèlement, alors que le pays est menacé par la dissidence dans la Catalogne et le Pays Basque, ces mêmes milieux ne voient pas d’un mauvais œil la provocation de troubles dans le nord du Maroc ; notamment dans le Rif comme si ces milieux y avaient un droit de regard ayant été l’ancien colonisateur. Ils observent à la loupe tout ce qui se passe au Maroc.

 Et pour cause, des décisions souveraines et courageuses du Maroc dérangent. Il en est ainsi de la délimitation du plateau continental fixant la limite des eaux territoriales avec l’institution d’une zone économique exclusive de deux cent miles marins des côtes marocaines. Il en est de même de la poursuite du développement des provinces du sud avec des projets ambitieux, dont le projet de port de Dakhla ;du contrôle et de la fluidité du commerce terrestre entre l’Europe et l’Afrique via Guerguerate (et bientôt via Laguouira).De même que la modernisation des Forces armées royales et l’entrée dans le club restreint de pays disposant de satellites propres notamment pour la surveillance de son territoire et  pour d’autres missions d’importance stratégique et sécuritaire. Cela indispose et fait grincer des dents.

Par ailleurs, l’initiation de manière démocratique du processus de légalisation de la culture et de l’industrialisation du cannabis dérange, tant et si fort que le trafic de cette plante a été une manne de devises pour les réseaux du crime organisé opérant sur le sol espagnol(et dans d’autres pays européens) et pour la réalisation d’investissements conséquents dans l’immobilier et le tourisme à coup de milliards d’Euros profitant exclusives à l’économie espagnole.

Cependant, plus sérieux encore, est le fait que l’Espagne voit son rôle au sein de l’Union européenne (du reste comme d’autres pays membres) rétrécir comme peau de chagrin. Elle lorgne le sud ; non pas avec le souci de la complémentarité, mais celui de la tentation hégémonique’. Et puis, une tuile est tombée, la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara. L’Afrique à l’horizon dans la perception des initiateurs de cette reconnaissance qui ont damé le pion aux plus performants parmi des services secrets ou des diplomates prétendument bien introduits. Des intérêts géostratégiques multiples dans la boussole des stratèges marocains et américains. Et voilà qu’on se morde les doigts d’avoir sous-estimé la politique rénovée du Maroc en direction de l’Afrique amorcée et exécutée avec doigté, patience et longue haleine, depuis quatre décennies déjà. Il faudra mettre fin à tout cela, du moins, ralentir le processus en attendant de voir mieux montent au créneau des milieux hostiles au Maroc. Trop tard, il faudra revoir ses notes et taper sur les doigts des planificateurs politiquesqui n’avaient pas vu le Maroc venir.

Ce faisant, l’Espagne fait une lecture erronée de l’évolution de la géopolitique de la région. L’épisode de Brahim Ghali a été planifié, médité, réfléchi avec l’espoir d’intimider le Maroc et de s’attendre à ce que l’Administration Joe Biden revienne sur la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud. Et c’est le même calcul erroné quoique prévisible de l’Algérie qui s’invite dans la réflexion. L’Algérie qui se trouve être le seul pays arabe et africain à soutenir l’occupation espagnole de Ceuta et Melilla et jouer de l’obstruction, avec l’Espagne et quelques pays africains, à la souveraineté marocaine sur les provinces du sud.

L’Algérie fait de l’indisposition de ses voisins un sacerdoce et une règle de conduite qui trouvent leurs justifications dans sa propension à conserver des territoires qu’elle a injustement hérités de la colonisation française. Mais axons l’analyse sur sa connivence avec l’Espagne (et par moments avec la Mauritanie). Des révélations sur sa collaboration avec Madrid durant les premières années 1970 en vue d’empêcher le Maroc de parachever son intégrité territoriale sont désormais vérifiées à l’aune de son comportement à l’égard du Maroc.

Il est acquis maintenant que l’Algérie et l’Espagne avaient passé un marché en vertu duquel, à la veille du départ des Espagnoles du Sahara, les séparatistes du polisario -appuyés par l’armée algérienne- s’empareraient du territoire et dameraient le pion au Maroc (et à la Mauritanie). L’idée était de mettre en œuvre le plan concocté à la veille de la maladie du Général Franco consistant à organiser un référendum devant déboucher sur l’octroi d’une autonomie fictive permettant à l’Espagne de garder des liens avec le territoire et à l’Algérie de réaliser son rêve d’avoir accès à l’Atlantique.

L’entente qui semblait être un coup de génie permettait également à l’Algérie de faire exporter le fer de Garat Jebilat via l’Atlantique et par la même occasion ne plus être tenue par l’accord de 1972 sur les frontières signés avec le Maroc stipulant, entre autres, l’exploitation conjointe des richesses du sous-sol du Sahara oriental, notamment les mines de fer. Le plan a été avorté grâceà la vigilance du Maroc et l’organisation de la Marche Verte. La suite est connue : la défaite de l’armée algérienne à Amgala en 1976 et la création d’une brèche dans l’entente maroco-mauritanienne sur le Sahara. La Mauritanie est obligée de signer un accord avec le polisario stipulant l’abandon d’Oued-ed-Eddahab au mouvement séparatiste. La réaction du Maroc est rapide, chirurgicale et effective. Cette parcelle du territoire est rattachée à As-Sakiet el-Hamra et par conséquent au territoire marocain au grand dam de l’Algérie et de l’Espagne.

La politique algérienne à l’égard du Maroc n’a pas changé depuis lors, malgré des étincelles de retrouvailles vite ternies par des comportements belliqueux et des suites d’intimidation sans lendemain émanant d’Alger. L’Algérie bénéficie du reste de l’ambivalence des anciennes puissances coloniales, l’Espagne, bien sûr, mais aussi la France, sans parler de l’indifférence complice, jusqu’aux dernières années, des autres pays européens percevant le Maroc (et l’Afrique d’une manière générale) dans l’esprit de la période précoloniale, coloniale et postcoloniale, c’est-à-dire, une adaptation de leurs intérêts sans se soucier de l’évolution du pays sur plusieurs registres. En somme, une lecture biaisée, pour ne pas dire à côté de la plaque, à l’instar de celle faite par le troisième membre de l’axe tripartite en question, la Mauritanie.

La Mauritanie partage avec l’Espagne l’amertume d’avoir été une sorte de ‘dindon de la farce’. Une appréciation erronée de la géopolitique de la fin des années 1970, une résignation incompréhensible face à l’Algérie de Boumediene et une exagération de la dimension tribale du conflit du Sahara. Il faut dire que le pays n’avait pas le choix tant la complicité algéro-espagnole était savamment orchestrée au moment où des plans de règlement attentatoires aux intérêts du Maroc étaient échafaudés.

Depuis la volte-face de 1979, la Mauritanie se cherche dans l’engrenage des alliances et contre-alliances régionales. Elle était magistralement ignorée quand l’Algérie avait proposé en 2002 à l’ancien Ennoyé Spécial du Secrétaire général des Nations Unies le partage du Sahara. Elle a été impliquée, malgré elle, dans les tentatives d’encerclement du Maroc par l’Algérie. Certains experts des affaires maghrébines sont d’avis que nombreux sont les mauritaniens qui continuent de percevoir le Maroc avec suspicion sans pour autant faire confiance à l’Algérie (ou à l’Espagne). C’est ce qui explique la position ambigüe de la Mauritanie dans les différents bras de fer entre le Maroc et ces deux derniers pays.

C’est dans la même logique que la dimension tribale est intégrée dans l’analyse. Nombreux parmi les responsables du polisario sont mauritaniens ou ont obtenu de manière détournée la nationalité mauritanienne. Il s’agirait de personnes qui montent la garde et empêchent tout rapprochement sérieux avec le voisin du Nord. Entre le marteau et l’enclume des protagonistes, acteurs majeurs, Nouakchott serait tenté de jouer une médiation laborieuse au moment où l’échiquier géopolitique régional ne permet plus le traitement avec des mouvements dissidents intranationaux, des séparatistes à la carte, ou des réseaux de déstabilisation à tout crin qui visent également la Mauritanie. Et ce n’est pas une boutade de dire que le projet de déplacer des éléments -voire le quartier général- du Polisario de Tindouf vers le nord mauritanien est sérieusement envisagé par l’institution militaire algérienne, car le mouvement séparatiste est devenu ‘un problème interne à l’Algérie’.

Pourtant, la Mauritanie n’est pas absente dans les différents projets de coopération mutuellement avantageuse initiés par le Maroc en direction de l’Afrique. La Mauritanie est théoriquement intégrée dans la vision marocaine du développement et de la coopération Sud-Sud novatrice et dans l’esprit de l’Organisation des Etats africains riverains de l’Atlantique (dont le processus a été initié à Skhirat en 2009), dans celui de la CEDEAO (dont Nouakchott a été membre) ou dans celui du gazoduc Nigéria-Maroc-Europe. Maintenant que le Nigéria a pris le train en marche en s’ouvrant sur le Maroc, la Mauritanie aurait tout intérêt à sortir du ‘traumatisme géopolitique’ causé à l’époque par l’axe Alger-Abuja-Pretoria.

Le développement des provinces du Sud profitera largement à la Mauritanie. C’est un développement qui est inscrit dans la durée parce qu’il s’agit d’une option stratégique irréversible, malgré les écueils de passage des voisins. Il confirme l’idée que le développement des régions frontalières dans des zones problèmes, en passe d’une stabilisation définitive, est une réponse intelligente en vue de la réalisation d’une prospérité partagée au-delà des obstructions politiques du passé qui ne riment plus à rien.

Est-ce une invitation à ce que la Mauritanie abandonne le navire algérien (ou espagnol)? Pas du tout. Il s’agit d’une invitation à sortir de sa duplicité dans le même esprit du message adressé par le Maroc à l’Union européenne et autres pays arabes et africains appelés à abandonner la nonchalance de plaire à tout le monde sans plaire à personne. Et surtout perdre totalement au change.

L’axe Paris-Rabat-Dakar ? Plutôt, le Maroc porte de l’Afrique dans l’esprit du codéveloppement et de la prospérité partagée

Et alors, qu’en est-il de l’axe Paris-Rabat-Dakar ?A l’observation du comportement politique et diplomatique du Maroc ces dernières années, il s’avère que le pays ne s’inscrit plus dans la logique dépassée des axes. Il serait partisan du ‘partenariat stratégique’ qui consolide l’égalité des acteurs par la complémentarité et l’approche participative. Il n’abandonne pas (ou se montre ingrat vis-à-vis de) ses amis. Le Sénégal en fait tout naturellement partie, lui qui avait été sérieusement menacé par la dissidence à La Casamance et qui avait trouvé en le Maroc le soutien idoine.

Tout comme la France pour peu qu’elle se débarrasse de sa retenue exagérée quant à la souveraineté marocaine sur ses provinces du sud. Paris gagnerait largement à permettre l’éclatement de la vérité sur les zones d’ombres à la veille de l’Indépendance du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie, notamment sur la question des frontières.

De même que certains milieux nostalgiques des temps révolus devraient comprendre que le Maroc d’aujourd’hui évolue dans le bon sens et ne cherche à damer le pion à aucun Etat partenaire qui respecte ses choix politiques, économiques et sociaux. Les Etats-Unis l’ont compris en reconnaissant les provinces du Sud comme partie intégrante du Royaume et en encourageant une solution politique dans le cadre de la souveraineté marocaine.

Il appartiendra à la France (qui soutient l’initiative marocaine d’autonomie jugée réaliste et crédible) de trouver, avec la quiétude et le doigté qui sont les siens, le moyen de convaincre l’Algérie, qu’elle connait le mieux au monde, de prendre le train en marche et mettre fin à toutes les obstructions dont elle se croit être maîtresse.

Tâche difficile certes, mais incontournable et surtout salutaire pour l’ordre et la stabilité au Maghreb, en Europe et en Afrique. En attendant que les experts patentés ou de service, qui ont fait l’essentiel de leur carrière sur le dos des anciennes colonies ou protectorats, se rendent à l’évidence : à savoir que ‘The TimesThey Are A changing‘ comme l’avait chanté Bob Dylan (Tiens ! un américain), il y a presque un demi-siècle. Et le Maroc change dans le sens positif ; il prend son destin à bras-le- corps dans la sérénité et la force tranquille qui sont les siennes. Il est en droit de le faire parce que c’est légitime.

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